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MASSINISSA, heros OU felon ?

Abdelhak SahliPublié dans Le Quotidien d’Algérie le 20 – 12 – 2011
Chercheur.
L’homme que nous a légué l’histoire sous le nom de massinissa est considéré par l’hagiographie officielle comme un héros national. Fondateur, nous dit-on, de l’Afrique du nord centrale, donc de l’Algérie actuelle, ce chantre de «L’Afrique aux africains » confiera pourtant sur son lit de mort à un romain le soin de régler sa succession. Nos compilateurs avouent leur perplexité devant l’attitude au premier abord paradoxale de ce « nationaliste » avant la lettre. En vérité, ces auteurs feignent de n’avoir pas compris qu’en agissant de la sorte, l’aguelid Masyle ne faisait que restituer un sceptre qui lui avait été provisoirement délégué.
Notre intérêt pour des événements aussi anciens étonnera peut-être. En réponse, nous dirons que par ses suites négatives, le règne de massinissa nous amène à poser la question du pouvoir, restée pour nous dramatiquement insoluble malgré presque un demi siècle d’indépendance.
Ainsi que nous le verrons au terme de cet article, depuis l’époque massinissienne, toutes nos tragédies trouvent leur origine dans l’absence de légitimité de nos gouvernants. De ce point de vue, l’histoire de notre pays, caractérisée par la résistance acharnée du peuple algérien contre des minorités usurpatrices, arrivées au pouvoir grâce à des assassinats, à des pronunciamiento et à l’appui occulte ou déclaré des puissances étrangères, offre une remarquable continuité. De la mort de Abane Ramdane à celle de Boudiaf, en passant par celles de Khider, de Krim Belkacem, et d’autres, de la crise de l’été 1962 au putsch du 11 janvier 1992, n’assistons-nous pas aujourd’hui à l’illustration de cette donnée de fond.
Peu flatteur, notre portrait du chef numide pourra paraître invraisemblable, voire tendancieux. Basé sur des faits admis par la plupart des historiens ayant étudié cette période de notre passé, il nous semble pourtant mieux cerner la réalité de ce personnage que les récits lénifiants et mystificateurs des hagiographes sans génie qui, sous couvert de décoloniser l’histoire, nous ont souvent mentis.
Cela dit, vérifions nos affirmations en parcourant le livre de nos annales. Nous sommes au 3° siècle avant notre ère, deux puissances rivales, Romeet Carthage, se disputent la suprématie en Méditerranée occidentale.
Carthage, Kart-hadath en phénicien, c’est-à-dire ville nouvelle, sortit de terre aux environs de 814 avant Jésus-Christ. La légende attribue sa fondation à Elissa, une princesse tyrienne. En réalité, l’implantation des phéniciens en Afrique du nord obéit à d’impératives considérations géostratégiques. En effet, grâce à la découverte, au dixième siècle avant notre ère, des mines d’argent de Tartessos, en Espagne et d’étain des îles Cassitérides (Angleterre), Tyr connut une grande prospérité économique.
Dans leurs allers-retours entre ces précieuses sources de richesse et la mère patrie, les phéniciens durent remarquer et utiliser le haut promontoire sur lequel ils édifieront leur avant-poste africain. Ressemblant à l’îlot inexpugnable supportant leur vieille capitale, ce majestueux rocher, facilement défendable (il s’avançait loin dans la mer et était relié au continent par un isthme étroit), leur offrait toutes les commodités pour surveiller leurs convois d’argent et d’étain et les mouvements autour de la Sicile, de la Sardaigne et de la Corse qu’ils convoitaient.
Rome verra le jour au bord du Tibre, un fleuve de l’Italie centrale. Plus jeune que Byrsa (autre appellation de Carthage), elle tirera de son origine intrinsèquement autochtone, une énergie suffisante pour lui permettre d’imposer durant des siècles presque partout sa loi.
Lorsque, à peine émancipée des tyrans étrusques, ses premiers tuteurs, elle jeta ses regards au delà des sept collines qui l’entourent, elle vit à l’Est, l’Hellade, minée par d’interminables guerres intestines, briller de ses derniers feux et au Sud, son aînée africaine, fermement agrippée à ses comptoirs espagnols, sardes, corses et siciliens, consolider son empire maritime.
Négligeant la mer Egée et ses faibles dangers, la ville de Romulus croisera le fer avec sa concurrente du sud, préfigurant par là, les heurts à venir entre l’orient et l’occident. Coupée de trêves plus ou moins longues, cette confrontation titanesque, que l’européocentrisme nomme les guerres puniques, et dans laquelle massinissa le numide jouera un rôle important, aboutira à l’extermination des carthaginois.
En ce temps là, deux états: la Masylie avec à sa tête Gaïa, le père de Massinissa, à l’est et la Masaesylie dirigée par Syphax à l’ouest, occupaient l’espace actuel de l’Algérie. Ces deux souverains numides ne s’entendaient guère; leurs querelles à propos du tracé des frontières et de la possession de la ville de Cirta, tantôt capitale de l’un, tantôt deuxième ville principale de l’autre, défrayaient régulièrement la chronique. Ces âpres disputes montraient également que la partition de la région en deux collectivités nationales distinctes devait être récente. A L’origine, les Masyles et les Masaesyles constituaient certainement un même peuple. Leur facile regroupement en une seule nation par massinissa le prouvera.
Ouvrons ici une parenthèse pour stigmatiser l’indolence coupable de nos aïeux, ou du moins des plus lettrés d’entre eux; ces derniers auraient pu en effet nous éviter ces approximations, s’ils s’étaient donné la peine de nous laisser des traces écrites de leur vécu. Plus enclins cependant à l’action brouillonne qu’à la réflexion féconde, ils délégueront cette responsabilité à des auteurs grecs et latins. Mais Hérodote, Polybe, Appien, Salluste, Tite-live etc… combleront nécessairement mal les lacunes d’une mémoire collective abandonnée par les premiers concernés. Ces historiens méritent toutefois notre reconnaissance pour nous avoir conservé quelques pages de nos lointaines péripéties.
Hiempsal, arrière petit-fils de Massinissa, cité par Salluste dans son livre « la guerre de Jugurtha », et Juba 2, petit -fils de Hiempsal se sont, parait-il, efforcés de retracer les faits et gestes de leur race, seulement rien ne nous est parvenu de leurs écrits.
Saint-Cyprien, Saint Donat, Saint-Augustin et d’autres intellectuels numides, latinisés et christianisés, obnubilés par leurs doctes mais violentes controverses ne s’intéresseront guère eux aussi à l’histoire de leur peuple.
L’arrivée des arabes exacerbera le naturel turbulent des berbères enivrés, jusqu’au dégoût, par les complots, les meurtres, les révoltes, et les guerres provoqués par les schismes nés parmi les propagateurs de l’Islam. Un scribe fatigué des intrigues de palais, Ibn-Khaldoun, s’échinera à retranscrire l’« épopée » de ces tribus anarchistes et querelleuses. Enseveli sous la poussière du temps et de l’indifférence de ses corréligionnaires, le grand sociologue arabe ne sera découvert que par les érudits venus dans la foulée des colonisateurs français.
Refermons la parenthèse et notons que les carthaginois profiteront sans vergogne de la rivalité existant entre Gaîa et Syphax pour protéger leurs intérêts. Mais contrairement aux romains, ils ne remettront jamais en cause l’existence des deux Etats numides.
En ce début du 3°siècle, les visées impérialistes de Rome, confortée par ses récentes conquêtes du Latium et de la grande Grèce (centre et sud de l’Italie), inquiètent Carthage.
Pour barrer à sa rivale la route de la grande île, cette dernière s’empare du détroit de Messine, séparant l’Italie de la Sicile. La guerre éclate; s’étalant de -264 à -241, elle se soldera par la défaite de la métropole africaine, obligée la mort dans l’âme, d’évacuer l’antique Tricarnie.
Ce conflit à peine terminé, la cité néo-punique devra faire face au soulèvement de ses mercenaires laissés sans solde après le revers sicilien. Entraînés par Mathos le nord-africain, Spendios le grec et Autarite le gaulois, les soldats oubliés de la république carthaginoise seront à deux doigts de terrasser leurs anciens maîtres. Hamilcar Barca, le général carthaginois, défait par les romains en Sicile, réussira au prix d’une lutte longue de quatre ans (de -241 à -237), implacable et terriblement cruelle, à mater la rébellion des troupes placées naguère sous ses ordres.
Sortie renforcée de la « guerre inexpiable », la nouvelle Tyr chargera, en -237, son général vainqueur de conduire une armée en Espagne dans le but de reconstituer son empire perdu. Mais son insatiable ennemie limitera, en -226, à l’Ebre son expansion dans la péninsule ibérique.
La prise, en -219, par Hannibal, fils d’Hamilcar Barca de la ville espagnole de Sagonte, rebellée malgré sa soumission depuis l’accord de -226 à l’autorité carthaginoise, déclenchera à nouveau les hostilités entre les deux puissances belligérantes.
En -218, le nouveau général en chef carthaginois, alors âgé de 28 ans, franchira l’Ebre, les Pyrénées, les Alpes et attaquera les romains qu’il vaincra dans plusieurs batailles, notamment prés du lac Trasimène et de Cannes. Handicapé par la perte d’un oeil due à une ophtalmie, il échouera cependant dans sa tentative d’investir la ville de Rome. Cet échec ne dissuadera pourtant pas Hannibal de stationner longuement (15 ans) et inutilement dans le sud de l’Italie. Estimant cette présence peu dangereuse, le général romain Publius Scipio, vainqueur, entre -210 et -206, des armées carthaginoises d’Espagne, débarquera en -203 prés des murs de Carthage. Affolés par l’impressionnante armada romaine, les carthaginois rappelleront leur général, embourbé dans son infructueuse équipée italienne.
Deux grandes batailles: près de Cirta (Constantine), en -203, où Syphax, fin politique mais piètre guerrier, sera fait prisonnier, et à Zama (Tunisie), qu’Hannibal quittera sans gloire, en -202, suffiront à Publius Scipio pour remporter une éclatante victoire, lui valant le surnom de Scipion l’africain, contre la thalassocratie néo-punique qui expiait ainsi son imprudence d’avoir confié son sort à un général…Au cours de la deuxième guerre punique, (de -218 à -201), Syphax, l’aguelid rival des Masyles, régnait sur la Masaesylie, vaste contrée limitée à l’Ouest par la mulucha (oued Moulouya, Maroc) et à l’Est par l’Ampsaga (oued El-Kebir, wilaya de Jijel). Restée pratiquement muette à son sujet, l’histoire ne nous précise pas si ce souverain numide était un roi légitime ou un simple usurpateur.
Dédaigné par l’historiographie officielle, le chef Masaesyle se comportera pourtant de façon exemplaire pendant le duel romano punique. Contrairement, en effet, à Massinissa, volontairement assujetti aux romains, Syphax, conscient de la nature profondément différente des deux impérialismes rivaux, mesura tout le danger pour la région d’un effondrement carthaginois. Originaires d’un Orient multi séculairement connu, anciennement et pacifiquement établis en terre africaine, et cohabitant plutôt paisiblement avec leurs hôtes berbères, auxquels ils s’étaient très tôt mêlés, les carthaginois s’enorgueillissaient de leur appartenance à l’Afrique. Animés de ce sentiment, c’est toujours vers l’Europe qu’ils orienteront leur effort impérial. En tout état de cause, l’extraordinaire aventure de ce grain de sable phénicien doit susciter notre admiration pour avoir pu, au milieu d’une masse numide, amorphe et incapable de s’organiser pour s’auto-administrer et peser sur son environnement, créer une brillante civilisation, constituer un empire et bousculer l’hégémonie romaine. Et n’en déplaise à nos annalistes besogneux, dont le patriotisme de façade cache mal l’indigence intellectuelle, Carthage, n’a été ni un repaire de brigands ni un cancer dévorant l’Afrique du nord ; elle fut plutôt un foyer civilisationnel dont l’anéantissement nous sera fatal. Lorsqu’ils seront pris dans les rets impitoyables de la « Pax Romana », les Amazighs s’apercevront combien leur était profitable et doux le voisinage des carthaginois. S’accrochant au souvenir de ces fabuleux explorateurs, ils se proclameront puniques longtemps après la disparition de la cité d’Hannibal. Au cinquième siècle de notre ère, Saint-Augustin soulignera lui aussi la persistance de ses compatriotes berbères à se réclamer d’une ascendance phénicienne.Issue par contre de cet occident inconnu, Rome effrayait par sa brutalité et sa voracité. Pour écarter la menace d’une intrusion romaine en Afrique du nord, nettement entrevue après la débâcle carthaginoise en Espagne, Syphax organisera en -206 dans sa capitale, Siga, érigée sur un contrefort dominant l’embouchure de l’oued Tafna, une conférence à trois, avec Scipion et Asdrubal, les représentants des deux forces antagonistes. Mais au cours de cette rencontre, le général romain, sourd à toute proposition de paix, ne voulait qu’une chose : avoir l’appui ou tout au moins la bienveillante neutralité de l’aguelid Masaesyle dans le combat décisif qu’il comptait entreprendre contre la citadelle néo-punique. Fidèle à lui-même et à ses engagements, Syphax affrontera aux cotés des carthaginois Rome et ses redoutables légions. Homme d’état avisé, il savait, comme l’apprendra plus tard à ses dépens Massinissa, que les romains refusaient toute égalité avec les « barbares ». Les peuples soumis à leur joug étaient réduits le plus souvent à l’esclavage. Aussi les allégations concernant l’influence sur ses choix politiques de sa jeune et belle épouse, Sophonisbe, la fille d’Asdrubal, le général carthaginois présent aux pourparlers de -206, relèvent de l’affabulation. Battu, Syphax vit son royaume gracieusement offert à son frère ennemi Masyle. Sa mort anonyme dans les sinistres geôles romaines n’a pu toutefois l’effacer de notre mémoire car ce défenseur sincère de la Numidie vécut et mourut dignement. Réunifiée sous son égide, l’Afrique du nord aurait assurément connu un tout autre destin.
En cette année -201, grâce au précieux concours de Massinissa, théoriquement allié aux carthaginois, (n’avait-il pas été envoyé en Espagne par son père pour combattre les romains?), Rome triomphe de son pugnace adversaire oriental. Essayant de comprendre les raisons du subit changement d’alliance de l’aguelid Masyle, les historiens ont émis un certain nombre d’hypothèses. Les uns l’expliquent par la rancune tenace conçue par le jeune chef berbère à l’égard de l’oligarchie carthaginoise pour avoir donné la main de sa promise, Sophonisbe, à Syphax, le rival honni. Les autres récusent ce motif en soulignant l’antériorité à cet événement, des contacts Massinisso-romains.
En fait, Massinissa, militaire ambitieux et sans scrupules, assistant à la déroute des armées carthaginoises sur le champ de bataille espagnol où il était présent de -212 à -206, déduisit que seul Publius Scipio pouvait l’aider à conquérir le pouvoir d’où l’écartaient les règles agnatiques alors en usage chez les siens. A la mort de son père, le trône échoira d’ailleurs à son oncle Oesalces, l’aîné de la famille.
En protégeant ce troufion courageux mais borné, Rome s’adjoignait sans combats toute la Numidie. Vassalisé par sa bêtise, massinissa deviendra le simple usufruitier d’un royaume ayant autrefois appartenu de plein droit à ses ancêtres. Naïve ou cynique, la participation active et réitérée de massinissa à l’élimination de son frère de race, Syphax et des carthaginois, déstabilisera pour de longs siècles l’équilibre géopolitique atteint par la région. C’est à partir de ce moment en effet, que l’Afrique du nord entrera, pour ne plus en sortir, dans le long, pénible et stérile cycle des invasions et des insurrections. Absorbés par la défense de leur pays, les berbères construiront peu. L’énigmatique pauvreté civilisationnelle de cette partie du pourtour méditerranéen, berceau au fil des âges de multiples et brillantes civilisations, trouve peut-être là son explication.
Pour leur part, les romains non seulement priveront l’aguelid, si jamais il en rêva, de Carthage qu’ils préféreront détruire que de la lui céder, mais ils occuperont militairement son royaume et extermineront tous ceux parmi ses descendants, opposés à leur colonialisme. Avant d’être la victime de la cupidité et de la cruauté romaine, Jugurtha sera d’abord celui du comportement inconséquent de son aïeul. Le défunt Mahfoud Kaddache nous surprend donc en présentant le fils de Gaîa comme le grand vainqueur des guerres puniques.
Massinissa inaugurera, (en -203), son interminable règne (55 ans), en marchant sur le cadavre de Sophonisbe devenue sa femme après la capture de Syphax. Obéissant aux ordres de Scipion l’africain, fortement irrité par cette union, ce peu scrupuleux mari versera dans la coupe de l’indomptable princesse carthaginoise, un poison mortel. Mais avant de mourir, la digne fille d’Asdrubal invectivera son époux d’un jour, pour s’être si bassement avili.
Ce forfait commis, les romains assigneront à leur auxiliaire numide une tâche précise : contrecarrer par tous moyens la renaissance de la patrie d’Hannibal, promise à une destruction totale. L’aguelid soumis s’y emploiera avec zèle. Après un harcèlement ininterrompu, il trouvera le motif pour la mise à mort programmée de la dangereuse rivale
Tirant argument de la clause relative à l’Afrique du nord, contenue dans le traité de -201 conclu entre les deux cités ennemies, et qui indique que les « carthaginois rendront à massinissa tout ce qui avait appartenu à lui ou à ses ancêtres, maisons, terres, villes, etc…, à l’intérieur des frontières qui seront ultérieurement délimitées », le chef berbère, encouragé par Rome, évidemment peu pressée de préciser les limites des deux états, ne cessera de razzier les dépendances carthaginoises. Entre -193 et -155, le royaume dépendant de la Masylie s’étendra de la Moulouya à la petite Syrte (golfe de Gabès, Tunisie).En -150, les carthaginois, excédés par les incursions aguelidiennes, restées impunies malgré toutes leurs protestations, riposteront à l’attaque de la ville d’Oroscopa. Les romains n’attendaient que ce prétexte pour déclencher ce que les historiens appelleront la troisième guerre punique. Après trois ans, de-149 à-146, de durs combats, Kart-hadath succombera. Pendant ces années mémorables, les carthaginois, présentés comme un peuple de vils commerçants, stupéfieront le monde par leur héroïsme. Dramatique à plus d’un titre, la chute de l’irréductible citadelle marquera, pour des raisons demeurées jusqu’à aujourd’hui obscures, le déclin définitif, hormis le tardif et éphémère sursaut arabo musulman, du flanc sud de la Méditerranée. En rasant le fief des lointains descendants d’Elissa, la légendaire princesse tyrienne, Scipion Emilen, le petit-fils adoptif de Scipion l’africain, pensant peut-être au sort futur de sa propre ville qui sera effectivement mise à sac par les hordes germaniques, récitait tout en pleurant, ces vers d’Homère :Il viendra le jour, où périra Ilion la sainte.Et Priam périra avec elle, et aussi, le peuple du porte lance Priam.
Désormais maîtresse de toute l’Afrique du nord, Rome installera très vite une colonie sur le territoire, pourtant déclaré maudit (le sel répandu sur la cendre encore fumante de Carthage l’a été à cette fin), de son ancienne ennemie. Mort en -148, Massinissa, âgé de plus de 90 ans et probablement sénile, n’assistera pas à la ruine de la cité état. Mais parallèlement à son insensée et suicidaire politique régionale, l’aguelid Masyle, fier de contribuer à la grandeur romaine, fournissait du matériel, des hommes et, prélevées sur le dur labeur des paysans berbères, d’énormes quantités de blé aux cohortes de l’empire en gestation. En -168, il enverra son fils, Nasgaba, féliciter la république consulaire après la reddition du roi Macédonien, Persée. Devant les pères conscrits, le rejeton royal prononcera un discours d’une incroyable bassesse. Ses propos, rapportés par l’historien Tite-Live furent repris par Ch. Saumagne dans son livre, « La Numidie et Rome. massinissa et Jugurtha ». Les voici « Deux choses ont fait rougir mon père, l’une a été que le sénat lui ait envoyé une ambassade pour lui demander de contribuer aux besoins de la guerre, alors qu’il eût dû simplement donner ses ordres ; l’autre, que le sénat lui eût donné de l’argent en contrepartie des denrées fournies. Car massinissa n’oubliait pas que le peuple romain l’avait créé, agrandi, multiplié ; et savait qu’il devait se satisfaire d’exercer un droit d’usage sur ce royaume ; et que le droit de propriété et celui de disposition appartenaient à ceux qui les lui avaient donnés. Aussi était-il conforme au droit, que les romains prélèvent et non qu’ils sollicitent, et qu’ils n’aient pas à acheter les fruits produits par une terre qu’ils avaient donnée »
Les successeurs du vieux roi seront désignés par Scipion Emilen, le bourreau des carthaginois. Appliquant la règle du « diviser pour régner », chère à tout dominateur, il partagera les attributions royales entre Micipsa, Gulussa et Mastanabal, trois des cinquante-quatre enfants mâles du défunt aguelid. Le premier administrera le royaume, Le second commandera les armées et le troisième rendra la justice. Le décès rapide ou meurtre ? de Gulussa et de Mastanabal, ce dernier père de Jugurtha, hissera le terne et docile Micipsa au sommet de l’état. Régnant de -148 à -118, ce roitelet sans prétention, que Rome, « magnanime », n’inquiétera pas, se soumettra sans rechigner à l’ordre établi par les nouveaux maîtres.
Voila résumé dans ses grandes lignes, l’itinéraire politique du «réunificateur de l’Afrique du nord » centrale. Monarque servile, sa félonie n’eut même pas l’excuse d’avoir amélioré les conditions de vie de son peuple.
L’augmentation de la production céréalière, attestée par les historiens, fut obtenue grâce à la dure exploitation de la glèbe berbère, taillable et corvéable à merci, et servit surtout à nourrir les légionnaires de la république impérialiste.
Au niveau politique, il n’institua aucune procédure susceptible de garantir la pérennité de l’état Masyle. Confirmant sa vassalité de fait et de droit, Rome décidera souverainement de sa succession.
De leurs côtés, les arts ne connurent aucun progrès. Ballotté entre les civilisations carthaginoise, grecque et romaine, le « grand » roi ne sut pas ou ne voulut pas créer une authentique culture Amazighe. Collaborateur avéré des romains, il aurait pu tout au moins initier, comme le feront plus tard les gaulois avec la civilisation Gallo-romaine, une civilisation Romano-Berbère.
Sur le plan stratégique, son adhésion empressée à l’anéantissement des carthaginois ouvrira la voie à l’envahissement de l’Afrique du nord par une multitude de conquérants étrangers.
Aveuglé donc par son égoïsme politique, massinissa oublia, à l’instar de ceux qui nous gouvernent depuis le recouvrement de notre indépendance nationale, que le salut d’une nation provient d’abord et avant tout de la liberté de son peuple.
Pour avoir ôté ce bien précieux à ses concitoyens, enchaînés par sa faute aux fers d’une servitude presque éternelle, l’aguelid numide doit être considéré comme un félon et non comme un héros.